D'une route à l'autre...

D’une route à l’autre…

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- A écouter en fond pour la lecture du CR -

« Debout, tiens toi, on te regarde
Et c'est ton tour, ton tour de garde, »

Elista murmure doucement et souffle de mon téléphone à mon oreille qu’il est l’heure de me lever… Il est déjà 6h00, j’ai les yeux qui piquent et le cœur qui saigne, c’est un de ces matins tristes et obscurs ou la froideur de l’air rend l’atmosphère plus glaciale encore. Avec mon épouse, nous nous sommes couchés fâchés, bloqués dans une incompréhension sans gravité mais qui à l’aube de prendre la route me pèse cruellement. Aujourd’hui, je dois faire l’aller retour à Hyères, déposer ma moto pour terminer enfin le travail, en récupérer une autre et être de retour pour midi, et l’idée de faire 500 kilomètres dans le mistral provençal, ecrasé par l’amertume de la journée de la veille m’attriste horriblement et me glace le sang avant même d’avoir mis le bout d’un gant dehors.

« Debout, un, deux trois, compte,
Jusqu'à la fin du monde, jusqu'à la fin du monde »

Le murmure s’amplifie, machinalement je me redresse même si je ne suis pas prêt à affronter le froid, le froid de la couche chaude que je quitte, le froid de la chambre, le froid de la braise d’amour étouffée par la bise, le froid de la bise des monts qui pique comme une braise. A voix basse je devise, mais finalement tout cela me pèse et si la tendresse n’est pas de mise, alors point de route aujourd’hui qui me plaise.

Rien ne me réchauffe, pas même le café brûlant du matin avalé à la hâte. Je monte l’escalier de la chambre, pose un genou sur le lit et l’embrasse. Dans la pénombre je ne perçois pas le moindre frémissement, je pars donc toujours aussi seul. Je démarre machinalement ZiDarkKing, l’enfourche mécaniquement et laisse derrière moi ma maison, ma femme et mon enfant.

La nuit encore présente et la brume qui baigne mes pensées m’incitent à garder ouverte la visière de mon casque. Une bourrasque arrache la larme qui vient de se former au coin de mon œil, née de la mélancolie qui m’habite et du mistral que j’affronte. Je ferme les paupières…

Le soleil est haut dans le ciel, je ne suis pas en avance et mon réservoir est vide, je dois d’abord m’arrêter à Orange faire le plein mais je ne veux pas faire attendre l’Aigle. Il m’a donné rendez vous au café de la place. Facile à trouver m’a-t-il dit, près du Platane, tu peux pas te tromper, de toute façon sur le parking tu verras ma moto et celle de BBKing qui est de la fête aujourd’hui, accompagné de BBQueen. Il a raison, deux monstres pareils dans une petite ville de Provence ne passent pas inaperçus.

Le vent balaye les herbes hautes et fait danser les sarments de vignes qui n’ont pas encore été coupés. Rouler est agréable, je suis impatient de goûter à nouveau au plaisir de la ballade. Je garde à l’esprit que l’ardeur qui m’anime ne doit pas se transformer en aveuglement et qui si l’hiver se termine, la saison débute bientôt. La pancarte m’indique que je suis arrivé. Je suis les indications,  direction le centre ville, laissant à ma droite la poste, puis le caveau, j’arrive sur la grand place. La première chose que je vois et reconnais c’est le KTM de Tipiak, Tipiak est à ses côtés en pleine palabre. J’avise à ma gauche la terrasse d’un troquet et surgissant de derrière une des tables l’Aigle et son imposante carrure. Je vais garer ma moto aux côtés des deux BKing. Sur le parking se trouve également une morini rouge. Les présentations sont faites, le café rapidement avalé, la troupe se met en marche dans un ordre qui ne changera guère au cours de la journée. Comme à son habitude, l’Aigle ouvre, suivi du duo BB King-Queen (BBKQ), viennent ensuite sur l’italienne rouge Morini 30, le frère de BBKing et moi-même.Tipiak, pareillement à la fois dernière ferme la marche. Après tout juste quelques kilomètres nous atteignons Bédarides où nous nous arrêtons pour remplir les réservoirs puis la caravane s’ébranle à nouveau.

Nous roulons tranquillement en direction de Pernes les Fontaines, mais honnêtement le tronçon que nous empruntons pour le moment n’a pour seul intérêt que de chauffer les pneus et les moteurs, de permettre à chaque pilote de trouver sa position et de se conditionner à ce qui l’attend. Chacun y va de son petit étirement, de son petit mouvement d’assouplissement et il est difficile de déterminer la limite ténue entre l’ennui et l’impatience… Moi je ne tiens pas en place. Je me sens à l’aise aujourd’hui, bien plus que la fois dernière. L’Aigle a cette faculté avec son sourire bienveillant, son bras protecteur, son œil pétillant et malicieux qui cache un morceau de ciel de vous mettre en confiance. Il est rare de croiser un motard qui ne cherche pas à tout prix à vous faire comprendre qu’il est meilleur que vous. Lui fait parti de ces routards qui veulent avant tout vous faire profiter de leur expérience, plutôt que de vous écraser avec, il ne se bat pas pour prendre un centimètre de bitume, il vous en offre des kilomètres.

« Non, ne lui soufflez pas,
C'est la paresse, tout n'est qu'ivresse,
Tout du pareil au même, »

Un clignotement m’arrache à mes pensées, à mes souvenirs du week end passé pour me replonger dans les turpitudes présentes… Je suis sur la réserve, j’arrive à Orange, j’ai les doigts gourds et le moral en berne, je n’ai parcouru que 25 kilomètres, il m’en reste plus de 450 à couvrir, que de l’autoroute. Je redéfinis à ce moment le Calvaire, je suis en route pour le Golgotha, hier la pluie, aujourd’hui le froid et la déprime givrante, définitivement la route d’Hyères est mon chemin de croix. Quel est le calice dans lequel je vais recueillir et boire mon sang, quel graal et quel patibulum m’attendent au bout…

J’avale les kilomètres et les sanglots qui les accompagnent, même le soleil qui se lève me semble glacial. Il n’y a pourtant pas l’ombre d’un nuage mais dans cette clarté naissante je ne suis que l’ombre de moi-même chassé par les sombres démons dont le nombre m’étouffe. C’est long, interminable et monotone, rien ne change, rien ne bouge, chaque chose se ressemble et s’assemble dans un tout qui n’a l’air de rien. Je suis tout seul…

Nous filons bon train, enfin autant que la loi l’autorise, le relief n’est que lointain et la plaine est un peu morose. Les amandiers dont les fleurs laissent tomber leurs blancs pétales offrent à nos yeux les flocons que l’hiver cette année nous a refusés et à certains endroits les bords de la route semblent habillés de petites congères cotonneuses.

Nous sommes en vue de Pernes les Fontaines. Nous ne nous y arrêterons pas, seul Tipiak est équipé pour les chevauchées boueuses du terrain de cross dont la renommée n’est plus à faire. Mon œil s’attarde sur quelques pierres, vestiges du « mur de la Peste » qui protégea la ville de la terrible épidémie. Tout ici est chargé d’histoire, qu’elle soit de la terre ou des hommes, je ne peux m’empêcher, en traversant cette ancienne capitale du comtat Venaissin, de penser qu’aujourd’hui nous y écrivons une petite page de la notre. Nous attirons inévitablement l’attention, peu de regards ne se tournent pas vers l’équipée que nous formons mais je ne perçois pas ici l’hostilité qui animait si souvent le riverain parisien que le bruit d’une moto empêchait de jouir tranquillement du brouhaha environement. L’habitant de la capital est comme ça, il aime la pollution, mais uniquement la sienne. Ici, nous sommes la parade d’un dimanche après midi de fête, une distraction que les gens du coin ne boudent pas et goûte pour certain avec amusement. Puis la ville, rendue à son calme, disparaît comme elle était apparu, dignement et sobrement comme le font les vieilles dames, en s’excusant presque de ne pas rester d’avantage.

-Pernes Les Fontaines -



« Debout, sois beau, on te détaille,
Des pieds jusqu'au poitrail
Debout, dis un peu pour voir
Comment tu dors le soir, comment tu dors le soir »

Peste soit de foutu crétin à qui les 10 guichets de péages pourtant déserts ne suffisent pas… Je me dis qu’il n’y a finalement pas de raison qu'il me voit, que j’existe pour lui, vu qu’aujourd’hui je suis invisible à ses yeux à elle, que je n'existe pas, je ne klaxonne même pas cet idiot qui vient de me couper la route pour se ruer devant moi à la seule borne occupée…

Je trouve après quelques temps une distraction, je suis presque à 10 000 kilomètres et je tiens à ajouter à ma collection de photos de compteurs kilométriques les 9999 de celui de mon Bking. 9996, 9997, 9998… Stop… Il est 7h52, nous sommes le 4 mars ZiDarkKing abbat ses 9999 bornes… Je m’arrête sur le bas côté, immortalise le moment, poste la photo à mon épouse risquant un timide je t’aime. Je patiente une minute dans l’espoir de lire une réponse. Seule l’autoroute me répond, vomissant une à une les voitures inconnus qui en me frôlant me hurlent leur indifférence. J’enclenche la première, tourne énergiquement la poignée des gaz et atteint en un instant le rupteur, je passe seconde, troisième, quatrième, cinquième à la volée et m’assied dans un sage 140 en 6ème… Je m’ennuie tellement que je ne vois plus rien.

- Happy Birthday ZDK -


Soudain, au sortir d’un virage, un village se détache, accroché à la colline. Il a cette majesté qu’on ces petits patelins provençaux juchés sur des éperons rocheux dominants la plaine qui s’étend à leurs pieds. Il était ainsi possible au temps jadis de voir l’ennemi arriver de loin rendant impossible tout assaut surprise. Le notre est tout à fait pacifique, Venasque n’a rien à craindre, car nous n’y prendrons que du plaisir. Quand ils édifièrent la chapelle, les bâtisseurs durent se dirent qu’en la perchant sur cette falaise ils la placeraient sous la protection directe de dieu. Mais à l’échelle d’un homme c’est surtout l’imposant Ventoux qui la protège. Il se détache au loin et la neige qui couvre encore son sommet adoucit sa rigueur brute, il est un peu moins la montagne pelée qu’il est l’été quand il dévoile sa face nue et désolée sur laquelle le vent qui jamais ne s’arrête empêche le moindre brin d’herbe de pousser.

- Venasque -



C’est la magie de cette région, le temps d’un battement de cil a suffi pour que nous passions de la platitude rocailleuse des champs de vignes à l’abrupte perspective des monts de Provence. La route sans surprise jusqu’ici tient enfin les promesses qu’elle nous avait faite quand nous parcourions ses lignes droites en nous montrant au loin le relief dans lequel elle disait se perdre. Le premiers virages se dessinent, les bords se rapprochent l’un de l’autre l’excitation grimpe de cran. Le son des moteurs s’affute, les régimes vont et viennent, s’adaptant aux courbes que nous nous appliquons à dessiner. J’observe ce qui se passe devant moi, à chacun sa technique, c’est amusant. l’Aigle pique immédiatement, tenant pratiquement de bout en bout l’intérieur. BBKing lui reste un peu à gauche de la corde. Morini30 quant à lui attaque  de l’extérieur avant de plonger dans le virage et de prendre sans plus la lâcher la corde. Ils sont tous les 3 très agréables à voir rouler et enrouler. Malgré l’énorme puissance des machines qu’ils pilotent, les trajectoires sont d’une fluidité étonnamment régulière. De mon côté, je m’essaye au trois exercices, mais je constate vite que partir trop extérieur m’amène pratiquement à chaque fois à ressortir trop extérieur également ce qui pose un sérieux problème quand la visibilité est réduite à quelques mètres. Je ne peux voir ce qui se passe derrière moi, mais je sais déjà, pour l’avoir vu il y a 15 jours que Tipiak est un excellent pilote.

« Non, ne lui soufflez pas
C'est sa faiblesse, tout n'est qu'ivresse
Tout du pareil au même, tout du pareil au même,
Tout du pareil au même, tout du pareil au même. »

Hyères, j’y suis enfin. Mon sang ne circule plus, mes idées sont figées. Il est 9 heures moins 10. Je suis en avance, mais le mécanicien est déjà là. Nous discutons un moment. Il est terriblement gêné de ce qui s’est passé la dernière fois, mais il n’y peut rien. J’attends que le directeur arrive, nous faisons le tour de la moto, il m’assure que cette fois tout ira bien qu’il est désolé, il en fait trop. J’avais préparé mon sermon, mais j’abdique, je suis trop fatigué, trop déprimé, puis je sais déjà que cela ne servira à rien, ce qui est fait est fait et l’échange de mails que nous avons eu ces derniers jours fut assez saignant pour qu’il n’oublie pas que la prochaine fois cela ne se passera pas aussi bien. Je lui demande de me déposer chez l’oncle de mon épouse. Ce dernier doit me prêter sa moto pour que je remonte à Cairanne. Ca va être une grande première pour moi, je vais faire la route du retour en GS 1150. Ma seule expérience en béhème à ce jour c’est une ballade 50 de kilomètres en K1100 d’un ennui redoutable…

Il vit dans l’exploitation viticole familiale et quand nous arrivons je constate que les pluies ici aussi ont été abondantes car l’eau n’est plus absorbée par la terre et les pieds de vignes sont littéralement immergés. Plus avant je découvre un spectacle surprenant. Ici éleveurs et vignerons partagent la terre, les moutons vont et viennent dans les rangs, débarrassant les ceps des mauvaises herbes et les gratifiant de leur engrais naturel. Il ne s’agit pas de quelques bêtes, mais de plusieurs dizaines, voir centaines… Je prends amusé quelques photos afin de convaincre les incrédules et me souvenir qu’aujourd’hui en dépit de mon amertume j’ai tout de même esquissé un sourire. J’envoie à mon épouse les clichés de ses terres noyées et tondues.

- Vignes flotantes -


- Des moutons vignerons -





Je découvre ma nouvelle monture, on me montre comment la démarrer, me servir des clignotants, des feux, du chauffe mains… Je pars, il est 10h06 quand je quitte Hyères. J’arrive à Toulon que je traverse, le tunnel à 70 est juste mortel… Ce qui me frappe immédiatement c’est que j’ai l’impression d’être sur un vélo, je suis assis très haut, je n’entend pas de moteur et quand je tourne la poignée des gaz, j’ai presque envie de descendre en marche pour pousser et débarrasser la machine de mon poids encombrant… Que c’est long, que c’est lent, que c’est creux… Tout est mou autour de moi, étrange et ralenti, comme si j’avais changé subitement de réalité… Foutre Dieu, mais non je ne rêve pas… Je dors !!!!

Les yeux grands ouverts je n’ose quitter la route du regard ne serait ce que l’espace d’un instant. Nous arrivons au col de Murs, connu aussi sous le nom de col du Puy Griffon. Je réalise alors que le griffon, tel qu’on pourrait se le représenter aujourd’hui roule à quelques mètres devant moi. Un Aigle sur un monstre d’acier n’est il pas comparable à cet animal mythique mi rapace mi lion ?? La vue est saisissante, dangereusement sublime car elle aspire l’attention qui ne devrait se porter que sur la succession d’épingles de plus en plus serrées que nous traversons. Nous roulons posément, l’état de la chaussée ne permet pas que nous forcions l’allure, je ne saurai m’en plaindre car nous ne perdons pas de temps, nous le prenons en même temps que nous prenons du plaisir.

Nous arrivons au village, y entrons et toujours en file indienne le traversons. Nous longeons le muret qui borde la route. De l’autre côté c’est le vide et au loin le col que nous venons de franchir. Face à nous la route se fend en deux, à droite c’est la direction de Apt, à gauche Sault et le pays des lavandes. Nous alignons consciencieusement nos machines le long du mur de pierres et nous mettons au diapason de l’Aigle qui d’un tournoiement de la main et du bout de l’index nous indique le moment précis où nous devons couper nos moteurs*…

- Le mur de Murs -







Le village est charmant baigné d’une lumière franche et douce. Il n’y a pas dans le ciel le moindre nuage et le vent présent jusqu’ici s’est cassé contre le flanc des monts. Nous devisons joyeusement, nous épanchons soigneusement. BBking et sa BBQueen goûtent ensemble du bord des lèvres le plaisir d’être à deux, leur complicité affichée me renvoi à ma moitié absente, ma douce femme me manque, j’aimerais aussi contempler ce paysage dans le fond de ces yeux, à l’endroit ou l’azur du ciel se mélange au bleu clair de son regard au moment précis ou ma bouche approche la sienne pour lui dire sans prononcer un mot combien je l’aime. Je m’éloigne de quelques mètres et transforme cette étreinte physique que je ne peux avoir en tendresse technologique et numérique que les ondes cellulaires portent pour moi à celle que mon âme n’a pas quittée.

L’Aigle hilare nous met en garde, c’est maintenant que les choses sérieuses commencent, nous nous approchons du but de la promenade : Les Gorges de la Nesque. La vigilance reste de mise car la route même sèche reste dangereuse puisque l’eau en ruisselant, suivant le dévers a creusé des ornières et laissé ça et là les pierres trop lourdes qu’elle n’arrivait plus à charrier. Il est temps pour nous de repartir. L’ordre ne change pas, la route monte, nous prenons vers la gauche.

- Le Village -




- La croisée des chemins -


- No comment -



« Debout, t'inquiète, c'est toi qui gagne,
Déchire la cellophane, déchire la cellophane,
Debout, attends un peu, ils vont devenir vieux, ils vont devenir vieux »

C’est la bulle de protection qui arrête ma tête dans sa chute irrémédiable vers le réservoir… Que je m’ennuie, les routes se suivent mais ne se ressemblent tellement pas. Il y a quelques jours, m’arracher à ma moto fut un quasi supplice, aujourd’hui je souhaiterais presque qu’elle n’exista point. Je ne parviens pas à me distraire, je suis ailleurs…

Je suis consciencieusement la trajectoire tracée pour nous par notre leader. Nous croisons quelques cyclistes que les rayons du soleil poussent sur les monts du Vaucluse et si à ce jour, le Mont des Monts n’est pas encore praticable ses petits frères offrent aux plus fervents adorateurs de la petite reine de quoi patienter.

Sur ma selle je trépigne, mon manque d’expérience se heurte à la prudence que nous affichons et l’impression de sécurité qui se dégage de notre convoi me pousse sur les pentes dangereuses de la confiance excessive. J’ai des fourmis dans la main droite, alors je m’applique à comprendre la route, à l’écouter. Je veux percevoir les secrets qu’elle dissimule, rire des pièges qu’elle tend et sentir enfin quand elle m’enlace au rythme des courbes qu’elle trace de vallées en cols et de plaines en sommets. Pour l’heure elle se veut piégeuse, tantôt concave, tantôt convexe, semée d’embûches en traverse et bordée d’entraves. Les éboulements qui la jonchent nous obligent parfois à virer à l’intérieur même du virage. Un skieur pourrait avoir l’impression de suivre au milieu du tracé d’une descente, un parcours de slalom spécial. Je m’aperçois que je continue parfois à sortir un peu trop à gauche, il faut que j’y prête attention, vraiment…

Sur le bas côté de petits tas de neige apparaissent parfois semblable à de petits icebergs qui se seraient égarés car autour d’eux tout est vert et sec. Le flanc que nous gravissons est végétal, le roc s’est fait oublié. Nous n’avons pas encore atteint la verticalité des gorges où la terre disparaît d’un coup laissant la place au vide. Ici le ciel et la pente se cherchent, se trouvent s’épousent et se repoussent constamment, rien n’est immuable et tout est possible, la pierre vit encore fouillée qu’elle est par les racines des arbres et les animaux qu’elle abrite. Elle n’est pas brisée, fracturée, anéantie par son propre poids, par l’action conjuguée de la gravité et de l’érosion.

D’un seul coup, face à nous mais tellement loin, le Ventoux se dévoile. Nous percevons devant lui les méandres de la route que nous nous apprêtons à emprunter. La vallée dans laquelle nous nous arrêtons offre comme seule preuve de l’altitude qui est la sienne une petite plaque de neige que le soleil n’a pas encore réussi à faire disparaître. Nous sommes à quelques kilomètres de Monnieux, au gîte de Saint Hubert, ancien refuge de chasse des notables du coin, aujourd’hui transformé en halte pour cyclistes et randonneurs. De retour de sa communion avec Dame Nature, l’Aigle évoque ses souvenirs d’un réveillon passé sous ce toit. Une petite voix nous salue, je n’arriverai jamais à savoir si elle venait de l’arbre de la cour ou de la petite lucarne. Tout est si calme, si paisible…

- Le Ventoux -




- La vallée -


- La preuve... -


- Le gîte de Saint Hubert -


- Les lointaines gorges -


- L'Aigle communiant -



« Non, ne lui soufflez pas
C'est la jeunesse, tout n'est qu’ivresse. »

Sacré nom de Dieu, ça souffle comme jamais. Si la première moitié du retour s’est avérée d’un calme ennuyeux à mourir, la seconde promet de secouer sévèrement. Les rafales me font faire  des déports impressionnants. Les bourrasques imprévisibles rendent ma progression dangereuse. C’est pire quand je double des semis, des vortex se créent en tous sens et la moto perd la tête, tout comme moi. Je suis bringuebalé de droite et de gauche. Chaque gifle que je reçois vient d’une direction différente, je ne sais jamais de quel côté cela va arriver. Les écarts sont de plus en plus inquiétants. Quand je tente de lutter en portant mon poids en contre, de brusques trous d’air me déséquilibrent dangereusement, comme lorsque la résistance sur laquelle on pousse d’un seul coup s’efface. On m’avait dit que cette moto était faite pour les grands gabarits, présentement, je regrette d’en être. Ma tête qui dépasse de la bulle manque de se décrocher à chaque fois que la bise se déchaîne, mon buste trop droit n’est plus qu’une grand voile trop ample pour la tempête qui se déchaîne, et si le couple ne m’a pas allongé les bras, le vent ne manquera pas de le faire. Je suis de retour en enfer, je ne suis pas sur la route je suis sur un ring, je me dis assis sur ma selle sers dents et poings car point de zèle ici, c’est l’ouragan La Motta que tu affrontes. Il n’est pas encore l’heure de s’écraser et je piaffe d’impatience de retrouver mon épouse et mon village au fond de la vallée comme égaré, presque ignoré…

Monieux est derrière nous maintenant. La route est de plus en plus étroite et le mince parapet qui court le long du vide ne sera d’aucun secours à quiconque raterait un virage. Le relief est accidenté, et le végétal a définitivement laissé la place au minéral. Au fond des gorges, la Nesque serpente et continue le travail de sape qu’elle a débuté il y a des millénaires. Le vide est aussi vertigineux que l’idée du temps qu’il a fallu à l’eau pour creuser ce lit dans la roche. Je suis toujours porté par la sécurité que m’offrent mes compagnons de route et par la confiance que j’ai prise à mesure que nous engloutissions les kilomètres. D’un coup, Tipiak fait écho à mon impatience de novice et d’un brusque coup de gaz place sa KTM en seconde position, juste derrière l’aigle. Je m’attend alors soit à le voir partir et disparaître, sois à voir le rythme s’accélérer. Je frémis, je suis prêt, je n’attend que de voir la roue de Morini 30 prendre un peu de large pour à mon tour donner quelques tours de plus à mon moteur, mais contre toute attente, ni le trail, ni le BKing s’élancent, pas plus que l'italienne, bien au contraire, quelques mètres plus loin nous nous arrêtons. Sur le côté extérieur de la chaussée, une horde de 2 chevaux est arrêtée, de nulle part, en fait d’un creux jusque là dissimulé à nos yeux, un groupe de randonneur apparaît, puis disparaît à nouveau happé par une vertigineuse ascension au moment précis ou une échappée de cycliste termine la sienne. L’espace d’un instant nous sommes ici motards, automobilistes, marcheurs et vélocipédistes que l’art du déplacement divise, d’accord sur le fait que la beauté appartient à tous... qu’importent alors le chemin et la façon de l’emprunter…

- Les gorges -






- 2 pattes, 2 roues, 4 pattes, 2 chevaux, bref... -


- Seul au monde -




Nous prenons d’assaut le belvédère. Sous nos pieds, quelques centimètres de béton et entre nos mains quelques kilos d’aciers nous séparent d’un précipice impressionnant. Les gorges sont tellement encaissées que l’on ne perçoit de l’eau que le timide frémissement. Devant nous se dresse la pan le plus élevé de la falaise sur lequel une croix brille sans que je parvienne à trouver par quel phénomène naturel je pourrais expliquer sa présence. A l'instant même ou j'allais emprunter la voie mystique et tomber à genou en implorant le sauveur de ne point accabler l'impie sans foi que je suis l’Aigle me souffle à l’oreille qu’il s’agit de la fameuse roche de cire,  qu’elle abrite des colonies entières d’abeilles et que les rayons des ruches, en fondant marquent de ce sceau brillant cette veritaclité qu’elles se sont appropriées.

- A l'assaut -


- L'objet de ma foi (ou presque) -


- Cours d'apiculture -


- BBKQ -


- Gare à la chute -



L’épingle à cheveux que nous distinguons à quelques mètres de notre affût nous murmure doucement que dans ces gorges de l’ânesque manoeuvre on ne tire qu’une sanction immédiate, la chute dans le meilleur des cas et sinon le plongeon. Nous repartons émerveillés de ce que nous avons vu et impatient de ce que nous allons découvrir. Nous traversons la falaise à plusieurs reprises, faisant rugir nos moteurs au passage pour profiter de l’écho ténébreux et guttural de ces cavernes obscures. Un Tmax et un custom 125 arrêtés sur le bord de la route démarrent à notre passage. A nouveau Tipiak bondit et se place en tête, suivi dans un rugissement rauque par l’italienne rouge. C’est maintenant, ça va arriver, il a suffit d’un bruissement  pour que la sagesse d’un coup se retire. C’est l’heure de la furie. Elle se libère avec la rage qui sied aux fauves trop longtemps tenus en cage. Je suis à quelques mètres de BBKG, les 3 autres nous ont un peu distancé, mais nous filons bon train. Je m’applique, je regarde à la fois devant et à ma gauche tâchant de ne pas dépasser la ligne qui n’existe pas. Sur un virage à gauche, je perds encore un peu de terrain. Suis immédiatement une droite serrée qui m’ouvre le champs sur mes 4 camarades qui sortent déjà de l’épingle suivante. Une voiture ralentit leur progression et me permet de recoller. Je garde néanmoins une distance prudente entre le duo et moi. Les uns à la suite des autres ils plongent à droite. Je les suis mais une fois encore je sors un peu à gauche, la voiture qui arrive en face est elle aussi un peu à gauche. Je parviens à re-rentrer dans mon virage et un léger coup de gaz me place de justesse en dehors de la trajectoire de l'automobiliste, nous passons malgré tout très très près l’un de l’autre. La peur qui n’a pas sur le coup eu le temps de se manifester s’installe, balayant du revers de la main la stupeur de la poignée de secondes qui vient de défiler… Je vois ma femme, mes filles, mon fils, la saison qui débute… Je reprends les gaz, mais plus modérément et me retrouve rapidement dans la roue d’une BM.

« Tout du pareil au même, tout du pareil au même, »

La GS1150 ne s’avère pas plus sécurisante à vitesse réduite sur une nationale, elle est tout autant la proie du mistral qu’il soit de face, de travers ou de dos, mais au moins j’ai maintenant en vue mon petit village. Dans 10 minutes il sera midi, j’ai tenu l’horaire, mais pour le moment, je continue de dérouiller, de me faire tabasser, châtier, corriger. Je m’en voulais en partant que mon épouse m’en veuille, mais c’est la colère des éléments que j’affronte, le vent me hurle de rentrer bien vite à la maison je jurerai que sur les derniers kilomètres il n’est plus un obstacle, mais qu'il me pousse en avant. Je ferme une fois encore les yeux pour les ouvrir dans ma maison, dans les bras de ma femme et de mon enfant…

- C'est pas à moi... -





Qu’il se traîne, qu’il est lent ce gars sur la GS1200, je n’ose pourtant pas d’accélération franche, je crois que je suis encore sous le choc, mon cœur bat toujours très fort, le sang cogne sans ménagement mes tempes et le bourdonnement sourd dans mes oreilles n’a rien avoir avec les moteurs qui vocalisent du fond de leurs cylindres. Je le double enfin et quelques virages après j’aperçois l’aigle qui roulant au pas m’attend. Je me colle à lui c’est rassurant, je m’en veux pourtant, une fois encore j’ai écourté sa récréation. Le TMAX nous double, je tente de lui faire signe d’y aller, d’ouvrir en grand, que je vais bien qu’il doit profiter, il ne voit pas mes gestes ou ne les prend pas en considération, il ne me quittera pas. On ne refuse pas ni la plume, ni l’aile d’un Aigle, on tâche juste de s’en montrer digne. Le groupe nous attend en bas, à la fin de la route des Gorges. Je suis toujours un peu perdu, un peu sonné un peu groggy. Je n’ai plus d’esprit d’à propos. Je profite de ce moment ou nous goûtons ensemble au plaisir d’être partis à 6 et d’être 6 en bas, au plaisir de raconter ce que nous avons vu, ce que nous avons fait de refaire et revivre ce que le temps transforme déjà en souvenir. Je respire cette bonne humeur, cette camaraderie qui n’existe que chez ceux que l'âme porte, cet air qui fait sourire autant qu’il anime. A ce moment là le poumon rempli importe moins que la tête pleine car dans quelques minutes chacun aura repris sa route, mais sur celle que nous quittons la gomme que nous avons laissée au passage scelle symboliquement notre partage !!

- Selfshadow -



« Tout du pareil au même, tout du pareil au même. »

Bien à toi BBQueen, bien à toi BBking, bien à toi Morini30, bien à toi Tipiak, bien à toi l’Aigle, bien à vous tous. Et à toi ma douce et tendre épouse, tout mon amour.

ZDR



* bon c’est pas tout à fait vrai, mais cela me faisait tellement plaisir de l’écrire…

  comme d'hab super CR , écriture , quel plaisir , merci         

adexel a écrit:  comme d'hab super CR , écriture , quel plaisir , merci           

Merci beaucoup, mais il a du y avoir un problème car une grande partie des photos est absente... Je viens de le mettre à jour...

Bonne journée

ZDR

merci zidark pour ce magnifique Cr
je doit le relire car ce matin j'ai mon bout de choux et impossible de ce concentré pour lire correctement .
vivement ce soir, quand tous seront au lit lol

  Salut,
Ca c'est du CR de compèt'!!  
Un style, une écriture, agrémenté de    extras,
Chapeau bas l'artiste   

MA-GNI-FI-QUEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEE!!!

Belle plume, belles photos, merci !

hola que tal
   beau CR
on a fait les gorges de l'Ardèche , ça roule et ça tourne , ensuite nous avons fait le col de murs et les gorges de la nesque , là la route est étroite et il faut s'appliquer à rester sur sa trajectoire .
la prochaine sortie on ira faire les gorges de l'aygue et là c'est hyper large il y a du virage serré et de grande courbe ou l'on peut passer très fort   
le but de ces deux sorties on étaient de te mettre en confiance avec nos route et arriver à la lire car il faut toujours garder de la réserve car quand ça referme ça ne prévient pas    
j'ai plein de coin à te faire découvrir et quand le beau temps sera installé je te mènerai en Lozère   
  

zidarkrider j'ai pris grand plaisir a te lire ,
et je reprendrai grand plaisir a rouler a tes cotés
merci pour ce beau Cr

J'allais me coucher car j'ai eu une bonne journée sur ton destrier.

Et je suis tomber sur ton CR. Je commence à lire et là, je me dis hop, hop, hop, il y a beaucoup à lire ? car demain j'ai une bonne journée de prévue.

Je vois la longueur du CR, et là je me dis ça ne va pas le faire, faut que j'aille au lit. Mais trop tard, j'avais déjà trop lu et je n'aurais pas pû m'endormir en me demandant tout ce qui allait se passer dans ce CR.

Ben voilà, j'ai tout lu et je ne regrette pas d'y avoir sacrifié quelques minutes de sommeil.

J'adore ton style d'écriture.

Merci.   

super CR et un sacré talent d’écriture.
il ne te reste plus qu'a écrire un peu moins et accélérer un peu plus   
   

Bertrand 80, Jean Mich, Kiko : Merci beaucoup, une part immense du plaisir d'écrire vient contentement manifesté par les personnes qui lisent. Je suis touché par vos réactions amicales et ai à coeur de publier ici chaque fois que je le pourrai. Encore une fois, du fond du coeur merci.

L'Aigle, BBKing : Je suis votre homme à chaque fois que vous le voudrez... Depuis la dernière fois Mon Epouse à hâte de se joindre à nous aussi... Elle s'est même offert un nouveau casque aux couleurs de la moto qu'il lui tarde d'essayer !!!! Manque juste une baby sitter !!!!

Freeman : Que de temps sacrifié ce week end pour moi... Des heures sur ma moto, des heures sur le fofo, des heures de virolo, 2 heures de resto... Le prochain CR il est pour toi, je prends le temps qu'il mérite alors ne m'en veux pas s'il n'arrive pas tout de suite. C'était très sympa de passer un peu de temps avec toi...

Clef à molette : Mais si j'accélère plus je verrais moins de choses et puis le dernier CR que j'ai envie d'écrire c'est celui de ma gamelle... Je laisse au mots le temps de me suivre pour pouvoir ensuite vous les envoyer... Merci de ton gentil mot.

hola que tal
la prochaine fois que je la verrai , je lui demanderai se qu'elle aime comme paysage , mer ou montagne bien que je commence à vous connaitre je pense que le mont gerbier des joncs devrait vous séduire , belle route et beau paysage c'est la haute Ardèche et la loire y prend sa source


à l'intérieur de la bâtisse il y coule la source , il suffit de la boucher pour que la loire soit sèche comme un coup de trique  

je suis désolé , là je n'arrive plus à mettre d'autre photos    ça déconne  
les routes sont belle et il y a des lacs   

super cr n'hesite surtout pas   

il faudra quand même un jour, que tu site le non de ton nègre , et combien tu le rémunère.     

A voir la plume du pirate, si je peux me permettre    de plus c'est un super gars. pour les sorties je lui laisserais le soin de faire l’écrit, je fournis les vidéos pour les Prochains CR. Un réel plaisir de faire sa connaissance...  
à refaire...

sisa8479 a écrit:pour les sorties je lui laisserais le soin de faire l’écrit, je fournis les vidéos pour les Prochains CR.   
..

il va falloir payer un peu.    
et quelle vidéo tu veux mètre puisque tu par toujours devant tu n'a personne sur t'est filme....       

tipiac pirate a écrit:

sisa8479 a écrit:pour les sorties je lui laisserais le soin de faire l’écrit, je fournis les vidéos pour les Prochains CR.   
..

il va falloir payer un peu.    
et quelle vidéo tu veux mètre puisque tu par toujours devant tu n'a personne sur t'est filme....       

mauvaise langue il y a le piaf devant pas ma faute si tu es derrière... allez file dans ta chambre vilain   tu es sur la vidéo en plus sur ton meilleur profil

j'attend la belle plume de ZiDarkRider pour y rajouter ta carette mon biquet       

La prochaine fois je m'équiperais mieux